Chloé De Bon : " je pense que ça m'a soigné à plein d'égards "
La réalisatrice Chloé De Bon est venue présenter son premier documentaire, Echo(e)s, qui parle des violences gynécologiques et obstétricales (VGO). Originaire de Charleroi, elle s'est livrée au Quai10 pour partager son expérience de réalisation.
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- Chloé De Bon, bonsoir.
- Bonsoir.
- Bienvenue au Quai10, où tu viens présenter ton premier film documentaire Echo(e)s, qui parle des violences gynécologiques et obstétricales (VGO). Qu'est-ce que tu as voulu proposer au public ?
- J'ai déjà voulu lui proposer d'avoir une vision très concrète de ce que ça pouvait représenter. Pour la plupart des femmes, c'est quelque chose de concret qu'on peut vivre dans un suivi gynécologique déjà très jeune, quand on a 15 ans, quand on se rend à une consultation et qu'on veut une contraception par exemple. Et puis c'est tout au cours de la vie, jusqu'au moment où on peut potentiellement être enceinte, de l'accompagnement jusqu'à l'accouchement, etc. Dans le même temps, ça peut être tout à fait abstrait pour des personnes, des hommes par exemple, qui ne le vivent pas au quotidien. Et donc je voulais montrer tous les différents visages que ça pouvait avoir, que ce soit des mots, que ce soit des gestes inappropriés, des jugements. Je voulais montrer la multiplicité des visages que ça pouvait prendre et quel impact sur la vie des personnes aussi.
- La multiplicité des visages, c'est quelque chose qui, évidemment, ressort fortement dans ce documentaire, puisqu'il est construit autour de plusieurs témoignages de ces personnes et qui elles-mêmes sont mises en scène aussi à travers ta caméra.
- Oui et j'avais aussi envie d'avoir une belle diversité de personnes. Je voulais que, en tout cas, plusieurs personnalités soient représentées. Il y a des personnes de tout âge, de différentes couleurs de peau, avec des vécus très différents aussi, des personnes qui ont été dans la précarité, d'autres pas, une personne trans, des personnes noires, des personnes blanches... J'avais vraiment envie qu'on puisse se retrouver dans ces histoires au-delà des expériences qui étaient racontées, aussi en termes d'identité, de comment on pouvait s'identifier à ces personnes.
- Dans la présentation du film, il était question d'un sujet resté longtemps tabou, qui, comme tu l'as dit, n'était pas forcément connu du public. Donc, comment as-tu pu trouver ces témoignages ? J'imagine que, aussi pour ces personnes, ça a été une étape importante de pouvoir se livrer, de s'ouvrir.
- Oui, c'était hyper intime. J'ai fait des appels sur mes réseaux sociaux pour pouvoir trouver des personnes. Des personnes proches de moi qui avaient des idées m'ont renseigné, aussi des personnes que j'ai contactées. Joël, qui parle de prothèses PIP, qui a eu un cancer du sein et une reconstruction mamaire, je l'ai contactée via un blog qu'elle avait créé pour prévenir et informer sur ce scandale sanitaire en France. Donc, ça s'est fait vraiment de différentes manières. Et j'ai construit une relation de confiance avec ces personnes pendant cinq années - parce que ça fait cinq ans que je travaille sur le film, un peu plus même - et donc, dans le fait de pouvoir se livrer, je pense que ça a aidé aussi... Parce que, oui, comme tu dis, c'est très intime, c'est des témoignages qui renvoient aussi à des choses très douloureuses, donc pas évidentes à livrer. Donc, ça nous a aidés, en tout cas, d'avoir ce temps pour mieux se connaître.
- Dans le processus de création, de production, du documentaire, à quel moment et pourquoi décide-tu d'aborder cette thématique ?
- Au tout début, ça faisait quelques années que je travaille dans le milieu du cinéma, en tant qu'assistante de production. Je sentais que j'avais envie de quitter la production, aller plus vers la mise en scène. Je sortais d'un gros tournage, avec Thomas Winterberg, le Kursk, et c'était une grosse machine de guerre avec des rythmes vraiment très, très intenses. Et je me suis dis, voilà, si je me lance là-dedans, je le fais mais un peu à ma sauce, à mon rythme avec une équipe de meufs. Et je trouvais que le cinéma restait un bon médium pour communiquer des messages. En tout cas, moi, j'en consommais beaucoup des films, des documentaires. Et donc, en parallèle, j'avais un projet d'écriture. Je ne savais pas quelle forme ça allait prendre. Ça pouvait évoluer. Et je me suis dit, comme j'ai ce réseau dans le cinéma, que j'aime, que j'ai envie d'explorer la mise en scène, et que je trouve que c'est un médium qui a de l'impact, tentons d'aller vers ça. Et donc, voilà, ce projet d'écriture était très fort lié à une histoire personnelle. J'ai pris la pilule pendant des années. En l'arrêtant, mon corps a été assez détraqué du point de vue hormonal. J'ai eu beaucoup d'acné, plein de choses... Et donc, je me suis très fort interrogée sur les conséquences pour notre santé, des hormones, de la charge contraceptive. J'ai rencontré beaucoup d'autres personnes qui m'ont parlé d'autres expériences. Et donc, j'ai ouvert le champ petit à petit.
- Dans la mise en scène, tu avais déjà des idées qui à la base de ce projet, ou bien ça s'est construit petit à petit ? On voit que le documentaire est construit d'une certaine manière. Il prend place dans un endroit, mais dans différents endroits également. Et puis, il évolue littéralement.
- Oui, j'avais pas ces idées-là au départ. Mon envie était là, dès le début. C'est bizarre parce que c'est quelque chose qui est venu vraiment revenu sur la fin, mais le fait d'intégrer de l'animation, ça, j'en avais très envie au début. Et puis, je me suis dit "ça va coûter trop cher, c'est une lubie, ça va pas se mettre". Et puis, en fait, ça s'est reposé plus tard parce qu'il manquait vraiment des images. Et donc, en fait, c'était opportun de les envisager. Mais sinon, par rapport au mouvement et puis aux environnements, comme tu dis, sans spoiler, ça s'est vraiment mis petit à petit sur ma route.
- C'est une expérience assez sensorielle ce documentaire. En tout cas c'est comme ça que je l'ai ressenti avec, comme tu l'évoques, ces images d'animation. Ces touchés, ces personnes qui sont seules puis se croisent. C'est quelque chose aussi que tu avais réfléchi ou qui s'est mis en place naturellement ?
- Alors, ça, ça avait été réfléchi, mais c'était pas au départ... Au départ, j'avais envie vraiment de récolter des témoignages. Et je pense que j'étais partie dans une logique un peu plus ordinaire ou conventionnelle de faire du documentaire. Et puis, très vite, j'ai voulu me sentir très libre par rapport à ça. J'ai pas fait d'études de cinéma, donc j'ai pas les codes du tout. Donc, ça s'est vraiment mis progressivement et tout ce toucher, etc. C'est vraiment venu dans l'idée du soin, enfin, que je voulais qu'on s'apporte, en tout cas, lors de ce tournage. Et donc, il y a vraiment 2 dispositifs qui ont été créés en parallèle. Il y avait tout le dispositif de tournage pour le film et le dispositif de soin pour vraiment qu'on se crée. Et donc, plein d'images n'ont pas été filmés de ce qu'on a créé ensemble, mais parce que je voulais qu'on y aille aussi de façon très progressive et que ce soit pas trop abrupte, parce que toutes ces personnes qu'on voit dans le film ne se connaissaient pas avant. Enfin, les sœurs jumelles, oui. Mais c'était la première fois que je les faisais se rencontrer. Et je n'avais pas envie qu'elles se rencontrent par rapport à leurs histoires douloureuses. Elles n'avaient pas conscience du tout des récits. C'était un vrai challenge de se dire "OK, on va les réunir dans cette piscine vide de Charleroi". Et en plus quand on a tourné, il ne faisait pas chaud, c'est pas un espace cocoon. Il faisait beaucoup de sens, ce lieu, parce que c'était un peu une métaphore du corps abîmé. Mais c'était assez hostile comme espace. Donc, il y avait un vrai défi, mais ça s'est passé et c'était assez magique. Et c'est vrai que le toucher, je ne pouvais pas le prévoir. On avait créé un dispositif avec une danseuse, une chorégraphe et toutes les personnes de mon équipe, mais on ne pouvait pas savoir comment ces personnes allaient être réceptives ou pas.
- Ça a nécessité de créer aussi une relation de confiance avec ces personnes ?
- Oui et comme je te disais, le fait d'avoir travaillé pendant 5 ans aidé. Ces personnes ont vu comment ça avançait, mes recherches de fonds, un peu les hauts et les bas, tout mon processus tant comme réalisatrice que comme productrice. Et donc, je pense qu'elles ont, ces personnes, ont aussi cru en moi et ont voulu m'accompagner aussi là-dedans. Donc, ce temps permet de créer cette confiance. Et oui, ça a en tout cas permis, clairement, je crois, quand le tournage a eu lieu de pouvoir mieux se déposer.
- Le lieu, tu l'as cité, la piscine Solvay à Charleroi, un lieu qui n'a pas été choisi par hasard, comme tu l'as déjà expliqué pour son austérité, cette représentation, cette métaphore du corps abîmé, mais également dans un environnement que tu connais, puisque tu es carolo de l'origine.
- Oui, et c'est la piscine où j'ai appris à nager. Donc, ça faisait longtemps que j'étais plus retournée... Mais c'est vrai que je cherchais un lieu particulier. Il y avait le studio qui me paraissait très logique dans l'idée d'avoir les témoignages face cam. Il fallait quelque chose d'assez simple. Mais pour ce qui était de voir les corps en mouvement, je voulais pas qu'il y ait de temporalité... Bon, là, je vais un peu spoiler si je dis ça, mais en tout cas, l'envie était de créer une bulle et d'avoir un peu... Oui, comme un espèce d'espace-temps, un peu, qu'on n'arrive pas à situer. Donc cette cette piscine, elle faisait beaucoup de sens par rapport à la métaphore de nos corps abîmés. Du coup, le titre Echo(e)s aussi, dans l'idée d'avoir toutes ces histoires qui se font écho... Enfin, il y avait un tas de choses qui m'amenaient à vouloir, en tout cas, un espace très vétuste, abimé. Et ce qui était intéressant avec la piscine de Charleroi, c'est qu'on y tourne beaucoup plus des clips, de rap. C'est un espace plus investi par des hommes aussi et je trouvais ça intéressant d'avoir des femmes dans cet espace.
- Tu nous as donné déjà plusieurs indices, mais une question très simple pour poursuivre. Qui es-tu, Chloé De Bon ?
- Je suis jeune réalisatrice. Je termine mon premier long-métrage, qui est mon premier film, j'en avais jamais fait. Comme je te le disais, j'étais assistante de production pendant plusieurs années avant ça. J'ai travaillé dans le milieu du stand-up et puis du cinéma. Je suis carolo d'origine, mais je vis depuis plusieurs années à Bruxelles.
- Comment es-tu ressortie de cette expérience, maintenant que le documentaire est projeté, que le public a pu donner son avis, que tu as pu partager aussi avec ce public ?
- C'était un processus très long. Il y a eu plein d'obstacles aussi. La recherche de fonds, comme je te le disais, ça a été très difficile parce que je me suis autoproduite pendant des années. Je suis très soulagée, fière. Une partie de moi qui est fière, quand même, pour être pu allée jusqu'au bout. Forte. Je pense que ça m'a permis de me prouver à moi-même que j'étais capable de le faire aussi. Je ne suis pas certaine que j'ai envie, forcément, de me relancer dans l'aventure d'un film rapidement. Je ne pense pas. En tout cas moi dans ma façon de fonctionner, j'ai besoin que ce soit très fort connecté à quelque chose de vécu. Et là, moi, ça allait être très fort par rapport à cette thématique. Ça a été très thérapeutique ce travail aussi. Et donc, voilà, je pense que ça m'a soigné à plein d'égards. Et donc, aujourd'hui, je pense que j'ai surtout envie de profiter, de voir comment le film peut voyager un peu en festival. Potentiellement, il peut y avoir un achat en télévision. J'ai très envie, en tout cas, maintenant, d'aller à la rencontre du public et d'avoir des échanges, parce que c'est hyper intéressant, ce que ça génère comme discussion sur plein de thématiques qui sont traitées dans le film que je n'approfondis pas spécialement, mais qui gravitent autour comme l'endométriose, le racisme dans le milieu médical, la réappropriation et la réparation du corps par le milieu médical. Il y a plein de choses, et donc, ça va m'amener à des rencontres. Et je pense que c'est ça que j'ai envie de suivre, là, maintenant.
- Pour préparer cette interview, je voyais aussi qu'il y a eu un certain engouement médiatique autour de ce documentaire. C'est aussi une satisfaction, donc, d'avoir levé le voile, d'avoir mis de la lumière sur ce sujet tabou ?
- Oui, c'est vrai. J'ai beaucoup de chance d'avoir cette couverture presse. Je pense que c'est un sujet... En tout cas, quand j'ai commencé, c'était un sujet dont on ne parlait pas, en tout cas, en ces termes. Les violences gynécologiques et obstétricales, on n'en parlait pas dans ces termes-là. Ça s'est mis un peu plus tard. Et j'ai l'impression qu'il y a une vraie volonté de libérer la parole au niveau légal. Il y a beaucoup de choses qui bougent aussi, donc c'est hyper intéressant. Donc oui bien sûr c'est pour moi une fierté d'avoir la possibilité de parler de ce sujet et de pouvoir le faire à travers la presse.
- Merci Chloé De Bon !
Merci à toi.
Entretien mené par Sébastien, responsable de la communication.