Personne ne l'avait fait auparavant : porter la carrière d'Eddy Merckx sur grand écran. Christophe Hermans (La Ruche, Des corps et des batailles) et Boris Tilquin (Dorosera) se sont lancés dans ce projet voici trois ans, pour accoucher d'un film documentaire aussi épique que la carrière du Cannibale.

Rencontre avec Christophe Hermans

Quai10 Illu clean Christophe Hermans

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- L'idée de vous intéresser à Eddy Merckx, comment vous est-elle venue ?

Déjà, cette année-ci, on fête les 80 ans d'Eddy Merckx. Du coup, il y a d'abord eu l'idée de faire un film hommage sur une carrière cycliste qui a quand même duré dix ans. Ensuite, c'est aussi pour parler à une jeune génération qui n'est pas forcément au courant de qui est Eddy Merckx. C'est peut-être un nom, mais elle ne sait pas ce qu'il y a derrière. Et ce qu'il y a derrière, c'est aussi un homme avec toute une ambivalence, avec des bons côtés et des moins bons, et on avait envie de tracer le portrait de cet homme tel le portrait d'un boxeur. C'est vraiment ce qu'on a recherché avec Boris : raconter un Rocky Balboa à la Belge.

- Vous avez travaillé exclusivement avec des images d'archives et des voix-offs. Pourquoi ce format ?

- On avait une référence tout d'abord d'un film qui s'appelle Senna, qui était déjà un film d'archives entièrement construit avec des images existantes, ou bien encore le film sur Amy Winehouse. On s'est dit que ce serait intéressant de raconter une histoire en immersion totale. Que le public soit plongé dans les archives et qu'il revive les années 60, 70 dans les jambes, dans le corps et dans la respiration d'Eddy Merckx. Et pour construire cette narration on a été chercher des anciens cyclistes, la famille d'Eddy, son soigneur, ou encore des journalistes pour pouvoir parler de ces années-là. Nous avons fait le choix de ne pas les montrer à l'image et de les garder en off pour rester au corps à corps avec Eddy.

- Votre ambition, avec ce projet, c'était aussi de rassembler des témoignages plus ou moins proches d'Eddy Merckx ?

Oui, effectivement on a pris les témoins de l'époque d'Eddy, puis des personnes plus récentes comme Rodrigo Beenkens qui a été, rappelons-le quand même, journaliste, cycliste pendant tout un temps. Il l'est toujours aujourd'hui et il a connu la fin de carrière d'Eddy Merckx. Il y a donc aussi une forme d'hommage de sa part de pouvoir parler de cet homme qui, au fil des années, est devenu un ami de Rodrigo. C'est pareil pour Johny Vansevenant qui a aussi été un contemporain d'Eddy et qui est devenu par la suite son biographe attitré. On voit que de génération en génération l'image d'Eddy perpétue.

- On vous connait notamment dans la fiction avec votre film La Ruche, vous avez également fait du documentaire (NDLR : Christophe Hermans est venu présenter Des corps et des batailles fin 2023 au Quai10). Ici, vous avez posé votre caméra et travaillé avec des images d'archives. Comment ça s'est passé pour vous ?

- Qu'est-ce que ça a été amusant de pouvoir travailler avec plus d'une centaine de cadreurs différents ! C'est-à-dire que, comme c'est des images qui ne nous appartiennent pas, on doit pouvoir les réapproprier, les transformer, arriver à ce que ces images deviennent siennes. C'est très intéressant. En fait, chaque film est un apprentissage différent, que ce soit par le documentaire, la fiction ou ici par le film d'archive. On avait envie avec Boris de travailler la matière, une matière vivante, une matière historique. Avec, au bout du compte, cette réflexion : comment arriver à faire un film d'auteur avec une matière qui ne nous appartient pas ? C'est là qu'a été tout l'enjeu du film.

- Cette sélection d'archives, ça a dû être une quantité de travail, j'imagine, parce qu'elles devaient être nombreuses ?

- Ça a été le travail le plus long que j'ai dû faire en documentaire. On a travaillé avec des centaines et des centaines d'heures pour arriver à faire une heure trente de film. Et c'est très compliqué quand on a une carrière comme Eddy Merckx avec 525 courses gagnées et une histoire de vie incroyable. Il faut faire des choix et il faut savoir raconter une histoire pour qu'elle vienne capter le public. Ça représente un travail de trois ans acharné.

Films

  • Merckx

    De 1967 à 1975, Eddy Merckx a tout gagné, tout dévoré sans rien laisser à ses concurrents. En moins d'une décennie, il s’est imposé comme l’icône absolue du cyclisme mondial. Mais à force de triompher, le “Cannibale” finit par…

    Genre
    Documentaire
    Durée
    1H23
    Merckx

- Rodrigo Beenkens, qui a participé au film, disait avoir été impressionné par le travail sonore. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

- Quand on récupère une matière de différentes archives, qui sont souvent des journaux ou des courses à étape de Tour de France, elles s'accompagnent de la construction sonore de l'époque. Et malheureusement, quand vous écoutez ces images-là, quand vous les regardez, vous n'avez pas forcément la respiration d'Eddy, vous n'avez pas forcément les vélos, vous avez beaucoup de bruits annexes. Donc, on a décidé de tout enlever et de tout reconstruire. Notre base de travail a été la respiration d'Eddy. On a pris un comédien et on a refait toute la respiration d'Eddy. Ensuite, on a construit tout cet environnement sonore où l'on retrouve les vélos, les motos, les voitures, la notion de vitesse. Et après, on a été construire une musique qui est digne de la fiction, des films d'action. On a essayé de faire, par le son, un film très contemporain, sur Eddy.

- C'est ce détail de réalisation qui justifie l'existence de ce projet en salle de cinéma, plutôt qu'à la télévision ?

- Au départ, c'était un projet télévisuel. Mais on est très vite arrivés avec nos gros sabots, avec Boris, en disant, "nous, ce qu'on veut, c'est de faire un film de cinéma". Eddy Merckx mérite un film au cinéma. On a proposé notre point de vue - et ça n'a pas été si facile de convaincre tout le monde - avec notre volonté très artistique de rentrer dans des moments intenses, par exemple, celui où Eddy descend la côte de Mourenx pendant 4 minutes, dans la brume, avec des sons ambiants. Mais on a convaincu au fur et à mesure, pour démontrer que la télévision peut aussi s'adapter au cinéma. Et je pense que c'est ça la grande force de ce film. D'ailleurs, ce film, on ne peut le voir qu'au cinéma. Donc j'invite vraiment les spectateurs à le découvrir. Et je pense que c'est un film aussi générationnel dans le sens où on remarque que beaucoup de spectateurs qui viennent voir le film sont des pères, des fils ou un grand-père, réunis pour perpétuer l'image de Eddy Merkx. Et comme le dit Cyril Guimard dans le film, l'émotion fait histoire. Donc, je pense que cette histoire a le mérite de proposer une très belle émotion et j'espère que les spectateurs viendront à sa rencontre.

- Merci Christophe !

- Merci

Rencontre avec Boris Tilquin

Quai10 Illu clean Boris Tilquin

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- Comment en êtes-vous à venir travailler sur ce projet avec Christophe Hermans ?

- C'est difficile de faire le tri... Quand on commence un projet on ne sait jamais vraiment quel est le point de départ. Il a dû en parler mais on aime tous les deux les films de boxe et je pense qu'il y a eu à la fois le désir de faire un film sur un boxeur, sur une espèce de... sur un corps qui reçoit des coups et un corps qui se relève. Ce désir-là jumelé au fait que Eddy Merckx fête ses 80 ans cette année et que, dans sa biographie, il y a énormément de paramètres qui nous laissaient présenter le corps d'Eddy Merckx comme un corps de boxeur. Eh bien ça nous a motivé, en tout cas, à générer un désir de cinéma.

- Vous êtes auteur, scénariste, réalisateur : votre travail avec Christophe, comment s'est-il articulé autour de ce projet ?

- Au début on travaillait sur un film de fiction de façon plutôt classique, c'est-à-dire l'écriture pour ma part et puis la réalisation pour sa part. Mais en fait déjà quand on travaille de cette façon, c'est très difficile de distinguer la part d'écriture qu'un réalisateur peut avoir avec un scénariste puisque, en fait, c'est un dialogue constant. Et donc on a commencé à travailler comme ça et puis il s'est avéré que Christophe était très actif à l'écriture et moi très actif à la réalisation puisqu'il fallait, en écrivant, déjà trouver de la matière, confronter cette matière à l'écriture et voir de quelle façon les choses s'articulaient. Au fil du temps, on s'est rendu compte que la frontière était plus que poreuse entre l'écriture et la réalisation. Donc on s'est dit qu'on allait signer le film ensemble et oublier ces espèces de carcans dans lesquels on se positionne parfois par tradition, mais qui en fait ne représentent pas vraiment le travail qu'on fournit.

- Comment Merckx s'est retrouvé d'un projet télévisuel à un projet pour le cinéma ?

- Je pense que quand il y a un désir de cinéma fort, le grand écran reste vraiment l'endroit où le cinéma se déploie. C'est d'abord le sujet et la façon avec laquelle on l'a traité qui fait que ce film devient un film de cinéma. Cela dit, c'est inespéré que le film ait pris cette ampleur et soit parvenu à convaincre. On a convaincu une société de distribution de croire en nous, on a convaincu la RTBF et la VRT que ce film avait aussi potentiellement une carrière en salle avant de sortir sur les écrans de télévision. C'est comme des étoiles qui s'alignent mais c'est d'abord, et avant tout je pense, le sujet et sa forme singulière qui en font un vrai film de cinéma.

- Le film a une forme de narration singulière. Comment donner au public l'envie de venir le voir sans trop en dire ?

- C'est un film qui est fait avec des images d'archives, et uniquement des images d'archives, traitées de façon cinématographique. Il n'y a pas une espèce de timbre-poste au milieu de l'écran, il y a vraiment une archive qui se déploie sur toute la taille de l'écran avec un travail sur le son qui est digne des plus grands films, je dirais même des films d'action. On a essayé d'être le plus immersif possible, que soit dans la vie intime d'Eddy Merckx, ou dans la gestion et dans la façon avec laquelle on présente les courses cyclistes. On est à hauteur de vélo, on est à hauteur de cuisses d'Eddy Merckx, on suit le vélo, on suit la moto des journalistes, les trajectoires des cyclistes... Le film est aussi une ode à ce que permet le cinéma en termes d'immersion, d'identification à un personnage et de sensations.

- Avec ce projet, avez-vous eu envie de faire découvrir, à un public d'une jeune génération, qui était véritablement l'icône ?

- Bah oui, moi j'habite à Bruxelles et souvent quand je croise des jeunes personnes, je leur parle d'Eddy Merckx, ils font référence à la station de métro dans leur réponses... et donc ça me perturbe parce que Eddy Merck, pour moi, ça reste un synonyme de victoire. Alors je ne dis pas que tous les jeunes pensent ça et moi-même, quand j'étais jeune, je connaissais Eddy Merckx mais je ne savais pas pourquoi. Je savais que c'était simplement un grand champion. Et c'est en me renseignant sur lui, en essayant de comprendre qui était ce personnage, d'où il vient etc. que j'ai découvert que c'était pas seulement un grand champion, mais qu'en fait c'était LE champion belge, c'était le cycliste qui a mis la Belgique sur une carte. C'est un incontournable comme Mohammed Ali en boxe ou Ayrton Senna en Formule 1. Donc je dirais que, oui ce film s'adresse à eux tant par la forme que par le fond et qui leur dit aussi qu'Eddy Merckx a arrêté l'école assez tôt pour pour faire du vélo et qu'une autre voie est possible pour s'accomplir autrement et vivre une vie qui soit digne d'être vécue avec ses propres talents.

- Merci Boris !

- Merci à vous.

Entretiens menés par Sébastien Capette, responsable de la communication