Longtemps cantonnées à la science-fiction, les IA s’invitent désormais dans notre quotidien. De la création d’images à la génération de textes ou de musiques, elles redéfinissent notre rapport à la créativité. Mais jusqu’où peut aller leur influence ?

Dans la fiction, les IA sont souvent des personnages à part entière du récit. Parfois protagoniste, comme Roz dans Le Robot Sauvage, Andrew, L’Homme Bicentenaire, ou Wall-E. Ils jouent parfois le rôle de soutien, comme R2D2 et C3PO dans Star Wars, TARS dans Interstellar. Ils peuvent enfin endosser le rôle d'antagoniste, tel HAL 9000 dans 2001 : L’Odyssée de l’espace, ou le Terminator T-800 dans le premier film éponyme.

Dans la réalité, les IA vont clairement marquer un tournant dans le récit de notre humanité. Encore actuellement en phase de développement, il en existe sous beaucoup de formes : l'intelligence artificielle peut générer du texte, des images, des vidéos, et même des voix et de la musique.

10 E58 TTP 00024 7
Le Robot Sauvage - (Crédit : Universal)

Il vous faut un logo pour votre entreprise, mais vous ne savez pas dessiner ? Vous n’avez pas le budget pour engager un graphiste, pas même quelqu’un en freelance ? L'IA peut être une solution à envisager en âme et conscience.

Mais au-delà de la problématique du budget, il existe aussi celle des contraintes techniques. Les plus musicien·nes d’entre-nous les connaissent : vous avez une mélodie au piano, ou alors un texte, et pour en faire un morceau complet, il vous faut trouver les musiciens, arranger une date, trouver un lieu, être sur la même longueur d’ondes en terme de créativité, revoir régulièrement la composition, et finalement planifier un enregistrement qui devra être travaillé, et mixé par la suite.

De ces contraintes se dégagent néanmoins un net avantage commun aux différents types de milieux créatifs : toutes les personnes impliquées ont le contrôle sur l'entièreté du résultat final (en admettant qu’il y aie une bonne dynamique de groupe).

À l'inverse, une IA générative d'image comme Midjourney ou Dall-E ne donne pas encore un contrôle total sur le résultat final.

Par exemple : si vous voulez y incruster un texte, il va vous falloir le faire comprendre à l’IA. Mais si ce texte n’est pas dans la police d’écriture que vous désirez ou simplement mal placé, il sera - à l'heure actuelle - plus rapide de le faire par vous-même.

Cela soulève quelques questions quant à notre rapport à la créativité.

Joker2
(Crédit : The New York Times)


ChatGPT
essaiera de vous rédiger un poème à propos de votre chien, à la façon de Baudelaire ou de Balzac, si vous lui en donnez les indications. Le résultat sera évidemment moins qualitatif (pour l’instant) que si l’auteur en question l’avait fait de lui-même, mais l’algorithme de ChatGPT pourra s'en rapprocher en analysant dans sa base de données la plupart des textes de l’auteur, voir ses figures de styles, ses dispositions de rimes, le nombre de pieds aux vers (et non l’inverse), et connecter ces informations avec celles que vous aurez données à propos du sujet désiré.

Midjourney sera lui capable, si vous le lui demandez, de vous dessiner quelque chose “à la manière de” Van Gogh, Dali ou Picasso. Il peut être même cocasse de lui demander “Comment Van Gogh aurait-il peint un avion ?”, chose inimaginable puisque les débuts de l’aviation, avec les frères Wright, sont arrivés 30 ans après le décès du peintre hollandais. Cela pose des interrogations sur la légitimité du produit fini, avouons-le.

Suno, lorsque vous utilisez les bons prompts (les données servant à classer les informations du contenu, un peu à la manière des hashtags sur nos réseaux sociaux), pourra lui vous pondre un morceau qui vous fera penser, de près ou de loin, à Imagine Dragons, Billie Eilish, ou Wolfmother (pour du Tool ou Primus, il faudra peut-être attendre encore un peu).

C3 PO
C3-PO généré par IA (Crédit : PicLumen)

Ces exemples me poussent à poser cette question : comment l’artiste dont le style est imité doit-il interpréter ces méthodes ? La fierté que son art soit tellement iconique qu'on le reconnaît au premier coup d'œil lorsqu’il est imité ou parodié ? Ou au contraire, la déception que son art soit si banal que l’on peut le reproduire si facilement ?

Le meilleur conseil que je puisse donner à une personne qui utilise l’IA est d’apprendre à séparer l’outil espéré et le matériau voulu.

Dans un aspect purement législatif : le rapport entre l’IA et les droits d’auteur repose sur un équilibre relativement délicat entre innovation technologique et protection des droits des créateur·rices.

En effet, pour “nourrir” ses algorithmes de génération, une IA doit avoir un matériau de base, créé à partir des sources analysées. Exemple : pour générer une image d’un building gris avec un ciel bleu partiellement nuageux en fond, il lui faudra savoir, pixel par pixel, quelle couleur générer. Chaque couleur de pixel est une donnée, et l’IA ne s'encombre pas de “Rouge Bordeaux”, de “Brun Taupe” et de “Bleu Pastel” dans sa base de données, mais plutôt de suite de chiffres. En se basant sur les photos de paysages urbains provenant de différentes villes, et des photos de ciel nuageux, nous obtiendrons donc notre image d’immeuble.

Cela mène à cette situation assez cocasse, où “le serpent se mord la queue”. Le web, la première source que scannent les IA pour trouver leurs matériaux de base, se remplit petit à petit d'images générées par IA. Ce qui signifie que l’IA commence de plus en plus à analyser son propre contenu afin de s’améliorer, mais c’est l’effet inverse qui se produit : lorsqu’une personne partage des images sans queue ni tête produite par IA, dans le but certainement d’en rire, il est fort possible que ces images soient à nouveaux scannées par des IA de génératives d’images dans le but d’améliorer la qualité de ses résultats.

Et donc, son auto-apprentissage s’en retrouve biaisé.

Cerveau neurones
(Crédit : Canva)

A titre personnel, ChatGPT est surtout pour moi une façon d’agencer les données. Les trier par ordre chronologique, par ordre d’importance, les classer par thématique. Les quelques bases que j’ai en programmation m’aident à lui demander plus spécifiquement des informations.

Je peux parfois lui demander des idées qui viennent compléter un travail que j’ai commencé sans cette IA. Tant que j’en ai la liberté, je continuerai à créer par moi-même. Mais il est clair que sans l’aide de ce “secrétaire numérique”, je prendrais beaucoup plus de temps pour certaines tâches.

L’impact des IA se fait, et se fera, par ses utilisateurs et leurs motivations. Sommes-nous dans l’optimisation de notre temps et de notre énergie ou sommes-nous dans l’économie, dans la paresse, voire même l’avarice ? Le temps nous répondra.

Ce qui est certain, c’est qu'il y a 120 ans d’ici, les vendeurs de chevaux regardaient la voiture d’un mauvais œil, mais aujourd’hui, il y en a partout, c’est tellement pratique. Rappelons-nous une chose : l’être humain crée, le robot reproduit.

Voulons-nous un univers où les IA peuvent aider le boulanger à agencer ses sacs de farine afin de lui soulager le dos entre deux services ? Ou bien voulons-nous d’un monde où les IA prennent notre aspect d’expression créatif pendant que nous restons au four et au moulin ?

Axel

Animateur de l'Espace jeu vidéo