Dune, le fascinant rejeton renié de David Lynch
Je risque de provoquer des crises cardiaques chez les puristes, mais je n'ai jamais vraiment apprécié le cinéma de David Lynch. Trop bizarre, hors d'atteinte, chiant, sont autant de mots et de sentiments qui me traversaient l'esprit lorsque me venait l'opportunité de regarder l'une de ses réalisations.
Bon, pour être tout à fait honnête, j'étais un peu jeune à l'époque où ces idées se manifestaient : Mulholland Drive venait de sortir et récoltait le plébiscite de la critique, tandis que je m'intéressais plus aux films mainstream du haut de mes 14 ans. Eh oui, il m'a fallu quelques années supplémentaires pour me former au cinéma d'Art et essai.
À la rédaction de ces premières lignes me vient tout de même un souvenir très effacé d'une projection de Lost Highway chez un ami de l'époque. Vous savez quoi ? Je n'en retiens aucune image ! Tout juste peut-être le générique d'introduction où l'on voit une route défiler, seulement éclairée par les phares de la voiture sur laquelle la caméra est fixée. Je vous rassure malgré tout : je mesure aujourd'hui, avec plaisir, le talent de ce cinéaste unique en son genre et, je pense, irremplaçable.
Je suis donc tombé beaucoup plus tard dans le cinéma David Lynch, et pas par la porte la plus évidente : celle de Dune. Ce film sorti en 1984 qui a, ni plus ni moins, été renié par le réalisateur originaire du Montana en raison, notamment, du charcutage opéré par les sociétés de production sur le montage final. J'ai pourtant, beaucoup d'affect pour ce film, très bancal au demeurant, mais au charme incomparable qui l'ont d'ailleurs élevé au rang de film culte de nos jours. Mais avant de développer en détail mon sentiment, un peu de contexte sur la production de ce mastodonte s'impose.
En 1984, lors de sa sortie, Dune est l'aboutissement d'un projet titanesque initié par le fantasque réalisateur Alejandro Jodoroswky et producteur Michel Seydoux (le tonton de Léa). Cette méga-production devait initialement réunir tout ce qui se faisait de mieux au niveau artistique : Mick Jagger dans le rôle de Feyd-Rautha, Orson Welles dans celui du baron Harkonnen, Salvador Dali sous les traits de l'empereur Shaddam IV mais également Pink Floyd pour la bande-son ou Hans Ruedi Geiger (créateur du Xénomorphe) et Jean Giraud (Mœbius) comme directeurs artistiques.
Aussi avancé le projet soit-il (dessins préparatoires, concept-arts ou encore le script que l'on peut voir dans le documentaire Jodorowsky's Dune) les sociétés de production refuse de le financer en raison... du réalisateur Alejandro Jodorowsky. Le projet est mis au placard et ensuite repris par le producteur italien Dino De Laurentiis qui se met en quête d'un cinéaste moins fantasque. Après une réécriture du scénario par l'auteur même de l'œuvre originale, à savoir Frank Herbert, le choix de réalisation se porte sur David Lynch, qui vient de gagner en visibilité grâce à Elephant Man. Démarre alors le début d'un tournage qualifié par Lynch de " cauchemar " : pannes d'électricité, techniciens malades et partage de plateau difficile avec le tournage de Conan le Destructeur pourrissent la production d'un film trop grand, trop ambitieux pour toutes les parties qui y sont impliquées. Le montage final, qui échappe à donc à Lynch, clôturera la première et dernière expérience du réalisateur sur un blockbuster.
La réception critique de l'époque fût à la hauteur de l'expérience qu'a été ce projet : très largement négative. Mais le temps a passé, et Dune a peu à peu retrouvé grâce aux yeux des critiques et des cinéphiles, qui le considèrent aujourd'hui comme culte malgré ses tous ses défauts. Mais que lui reprochait-on après tout ?
La première chose tient de l'univers qui est adapté : très dense, le roman de science-fiction Dune ne pouvait pas tenir en un seul film, ou bien fallait-il lui enlever quelques arcs narratifs moins importants. Denis Villeneuve l'a bien compris, des années après, en proposant en deux films ce que Lynch et ses producteurs ont tenté en un seul. Cela ne vous échappera pas en regardant la version de 1984 : le dernier quart expédie les enjeux à une vitesse presque indécente.
Autre paramètre : la notion d'œuvre "inadaptable". Dune a souvent été qualifié de roman impossible à recréer dans le format cinématographique ou télévisuel, en raison d'éléments que seul notre cerveau est capable de façonner à la lecture du récit. On en saisit pleinement le fond en regardant l'adaptation de Lynch : sans spoiler, la seule apparition d'un personnage capable de choses impossibles à mettre en scène rend l'expérience de visionnage dérangeante, voire grotesque. Là aussi, Denis Villeneuve a compris que c'était inconcevable et a complètement réécrit, avec brio, cet arc narratif dans Dune : Part Two.
Dernier paramètre que je citerais, comme une évidence, c'est le montage qui rend le rythme très déséquilibré et la lecture des enjeux très confuse.
Et pourtant, malgré ces gros défauts, je reste fasciné par ce que nous propose David Lynch : des costumes somptueux, des décors tangibles qui fourmillent de détails et une tonalité musicale, à la fois très pessimiste et onirique, qui sied à merveille à l'univers sorti de la tête de Frank Herbert. Certain·es disent que c'est un mauvais David Lynch ? Je pense que c'est juste un film à part dans sa filmographie.
Sébastien
Responsable de la communication
(Source image de couverture : Pitchfork)