Entre vide juridique et problèmes de compatibilité, les adeptes du rétrogaming, qu’iels soient simples joueur·euses, ou réel·les acteur·rices du milieu, ont parfois la vie difficile lorsqu’il s’agit d’apprécier pleinement leur hobby.

Vous avez retrouvé ce vieux CD-Rom d’un jeu de votre enfance, que vous faisiez tourner sur votre Windows XP, voire même votre Windows 98, et vous voulez y rejouer ? La chose est en général faisable, mais pas toujours aisée. Les plus averti·es diront que c’est aussi fastidieux que de lire un disque vinyle sur une enceinte Bluetooth dernier modèle : il faut passer par des moyens intermédiaires, le plus souvent en faisant tourner une version antérieure au système d’exploitation actuel. Et ceci, ne vaut que pour les détenteur·rices d’un ordinateur, car du côté des consoles (portables ou de salon) la chose est encore moins aisée.

Peu nombreux sont les outils mis à disposition par les éditeurs et constructeurs. En effet, quel intérêt auraient-ils à ce que vous jouiez à d’aussi vieux jeux, alors qu’ils en proposent de nouveaux sur des supports plus récents, et dont la production (et la vente) ne s’est pas arrêtée il y a plus de 15 ans ?

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Prise péritel (source : Jonas Bergsten — Photographie personnelle. Domaine public)

Certes, la PlayStation 2 pouvait faire tourner les jeux de sa prédécesseure, mais exit cette fonction sur la PS3. Et il aura fallu à Sony près de 7 ans après la sortie de la PS4 pour mettre en place une fonction (payante) donnant accès à ses plus anciens catalogues (et encore, non par rétrocompatibilité mais bien par système combiné d’abonnement via cloud-streaming-émulation). Vous aussi, vous vous attendiez à jouer à Sly Cooper, ou Crash Bash, le tout nécessitant une connexion internet constante ?

Aux joueur·euses de consoles, deux grandes solutions se distinguent alors :

  • Soit posséder la console d’époque, fonctionnelle et faire tourner les jeux de leurs souvenirs. Une tâche ardue au demeurant puisque le temps peut parfois avoir de l’impact sur le bon fonctionnement de ladite console, sans compter la place qu’elle peut prendre, ainsi que son câblage… et avez-vous l’écran compatible avec le câblage ?
  • Soit se tourner vers l’émulation, cette pratique consistant à importer le jeu vidéo sur une autre plateforme, le plus souvent un PC, voire une console modifiée, ou, plus récemment, un smartphone, et le faire tourner sur un logiciel qui émule le fonctionnement d’une ancienne machine sur une machine plus récente.

Pour les plus optimistes, il existe également une solution hybride : espérer patiemment une mise en place des ayants droits, le plus souvent des éditeurs, du jeu souhaité voire sa remasterisation. Ce dernier cas a peu de chances de se produire si le jeu en question n’était pas à l’époque un succès commercial ou critique.

Mais l’émulation, qui semble un paradis en terme de besoins techniques, est aussi un vrai pêle-mêle en matière juridique : à qui appartiennent les droits d’un jeu vidéo dont le studio a été racheté par un éditeur, lui-même absorbé par un autre, qui a depuis dissous le studio d’origine ? La réponse réside surtout dans la conception que nous nous faisons d’un jeu vidéo, alias d’une œuvre vidéoludique.

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Cartouche du jeu Super Mario 64 (source : full-set.net)

Prenons un exemple : vous possédez une boite, peut-être encore sous blister, du très classique Super Mario 64. L’objet est à vous, mais… possédez-vous réellement le jeu ? Bien sûr que non, c’est Nintendo. Vous n’avez en votre possession qu’un moyen d’accéder à sa propriété intellectuelle.

Mais : vous voulez JOUER à Super Mario 64. Après tout, vous en possédez une copie légale ! En acheter une deuxième serait du gaspillage et votre console la faisant tourner est défectueuse. Racheter une console de plus de 20 ans ? Sur le marché rétro, son prix risque de ne pas être donné à tout le monde. Un ami vous parle alors de logiciels disponibles en ligne, simulant la Nintendo 64, avec lesquels il vous suffit de télécharger une ROM de Super Mario 64 (une copie numérique sur ordinateur transférée depuis la cartouche de jeu par une tierce personne). C’est effectivement assez pratique !

Mais voilà un autre problème : le service juridique d’une certaine compagnie de Kyoto s’alarme : si vous, en toute légalité, avec l’aide d’un simple moteur de recherche, pouvez accéder par vos propres moyens à une version jouable de ce bon vieux Super Mario 64, alors n’importe qui le peut, y compris des personnes qui, elles, n’ont pas donné leur argent en échange d’une copie légale.

Un autre exemple, moins populaire mais assez représentatif de cette difficulté d’espérer ce que nous avons appelé plus haut “la solution hybride”, et assez représentatif pour les adeptes du rétrogaming, c’est celui de No One Lives Forever sorti en 2000, développé par le studio Monolith Production, et édité par Fox Interactive, une filiale de 20th Century Fox.

Cette filiale fût vendue en 2003 par la Fox à Vivendi Universal Games. En 2008, Vivendi Universal Games fusionnent avec Activision, cela donne Activision Blizzard Studio. Ce même studio est racheté par Microsoft en 2022. Mais depuis 2013, soit 5 ans après la fusion, Activision Blizzard Studio est dans un flou juridique, sans savoir à qui appartiennent les droits du jeu (ce qui n’a pas empêché Activision Blizzard Studio de sortir World of Warcraft Classic en 2019, une version revisitée de leur MMORPG phare avec un retour à ses mécaniques de 2004).

Tout porte à croire que, si ce n’est les éditeurs/distributeurs, ce sont donc les développeurs du jeu qui en ont les droits… Monolith Productions ? Ils furent rachetés en 2003 par le groupe Warner. Vous suivez toujours ? Le studio lui-même n'en n'a pas la moindre idée non plus.

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No One Lives Forever (source - gamergen.com)

Un nouveau challenger arrive : Nightdive, un studio spécialisé dans la réadaptation et réédition d’anciens jeux. Sans réponses concrètes à propos du statut légal du jeu, il décide de déposer les droits afin d’entamer le travail de portage, mais reçoit alors un communiqué de Warner leur suggérant de ne rien faire, ou de courir le risque d’actions en justice si “ il s’avérait que la société (Warner) était bien en possession d’un acte de propriété ”.

Ce que l’on appelle donc par chez nous une lasagne institutionnelle.

Mais admettons que ces problèmes soient résolus, et que le jeu de votre choix fonctionne désormais entre vos mains, un autre fait se présente : celui de l’authenticité. Jouer à des jeux rétro sur des équipements modernes peut altérer l'expérience authentique : le ressenti, la latence, ou même la manière dont les graphismes s'affichent peuvent différer des conditions originales. Les jeux d’époques étaient conçus, testés et vendu pour des écrans cathodiques, bien différents de nos écrans plats actuels.

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Installation rétrogaming (source : Furcheezi sur Reddit)

Le dernier point serait celui de l’impact environnemental : la fabrication de nouveaux périphériques pour le rétrogaming (adaptateurs, nouvelles cartouches) et la gestion des déchets électroniques provenant d’anciennes consoles rejoignent des préoccupations environnementales croissantes.


Par conséquent : que vous ayez envie de rejouer à quelques jeux de votre jeunesse, de découvrir des anciennes pépites, ou que ce soit votre principal hobby, vous voici averti·e : tant que les ayants-droits n’auront pas répondu aux attentes, envies et besoins de leurs consommateurs de redécouvrir de plus anciens jeux, ceux qui sortaient à une époque où les termes “Triple A” et “Jeux indépendants” n’existaient pas encore, et où les studios ne se rachetaient pas entre eux, ces défis de recherche, de budget, et de logistique persisteront.


Axel

Animateur de l'Espace jeu vidéo